vendredi 7 octobre 2016

"La manie de l'imitation et du singeage…"



Thomas Bernhard à la rédaction du Watzmann 
1er avril 1984 
(extraits)

" Cher Messieurs !

Il y a quelques temps déjà, l'une de mes connaissances m'a remis entre les mains l'édition de janvier de votre revue, où je n'ai pas tardé à découvrir l'un des articles qui me touchent et me consternent à chaque fois.

(…) Imiter ne sert à rien, n'a aucun sens.

Dans une édition de janvier du Watzmann, adaptée à la saison, et pour tout dire d'une faiblesse monstrueusement effrayante, nous lisons "Le dernier Thomas Bernhard, une bagatelle", boursouflée sur plusieurs pages, c'est-à-dire une imitation volontaire et, par la force des choses, ratée, de Bernhard (ou encore une parodie de Bernhard) commise par une certaine Katrin Lohner à partir d'un dérapage de la raison qu'aucun d'entre nous ne saurait comprendre.

Quelqu'un veut mettre à disposition son absence de talent pour faire rire, mais pour des raisons liées à la manie de l'imitation et, pour tout dire, du singeage, qui caractérise la profession, s'installe à son bureau et, inspirée par une bétise et une irréflexion grotesques ! et subites, nous lance à la tronche cette prétendue parodie, et en réalité cette imitation de Bernhard, comme un raté lohnerien total au niveau bas, très bas, puis au niveau zéro, sur une base rémunérée.

Nous posons la question : est-ce une impudeur mégalomaniaque de germaniste, une perfidie considérée comme un dilettantisme, un dilettantisme considéré comme une perfidie, qui, ici, dans une sorte d'accès de confusion miséricordieuse, celle qui s'attache à la déliquescence intellectuelle, a évacué la page imprimée vers le bas, c'est-à-dire vers le niveau le plus bas du cloaque, et s'effraie, est effrayé et péniblement touché par une telle exposition de modèles d'esprits et de têtes au format de noisette ?

Il est vrai que je lis aussi, de temps en temps, l'une de ces prétendues parodies de Bernhard imprimées et diffusées par les entreprises de presse, il m'arrive, même si ce n'est pratiquement jamais le cas, d'y trouver une imitation qui, en ces temps très invraisemblables, n'est pas à proprement parler remarquable mais constitue tout de même, pour une fois (en de nombreuses années !), une imitation tout à fait acceptable, c'est-à-dire menant vers le haut, l'élévation, et presque à l'authenticité autonome, que l'on pourrait donc continuer à écrire comme une œuvre, mais à la lecture de cet avorton complet présenté comme le dernier Thomas et même la dernière chose, je me suis immédiatement exclamé incroyable ! (après la première lecture), mais c'est vraiment incroyable ! (après la deuxième lecture) et, pour finir, incroyable, dire que ce genre de choses existe ! (après la dernière lecture, définitive), parce qu'il fallait s'exclamer sur-le-champ et depuis son fauteuil, considéré comme une situation de lecture, par impossibilité, parce que cela va trop loin pour mener une algarade intellectuelle, présenter ses condoléances les plus sincères et les plus durables non pas à la Lohner, mais sans doute aux rédacteurs de la revue Watzmann, qui ont décidé d'imprimer et supportent donc les frais d'impression et les honoraires à verser à l'auteur.

J'ai lu de mauvaises parodies de Bernhard. j'en ai lu d'encore pire. Avec cet article de l'édition de janvier, dont le début était aussi la fin, j'ai lu la parodie de Bernhard la plus absolument mauvaise, la plus tartignole qui se puisse concevoir. Ce qui nous est parvenu ici sous la forme d'une spéculation sur le paiement à la pige, me suis-je dit, et j'ai pourtant dû finir par rire parce que j'ai eu une bonne idée, et par conséquent l'unique idée juste, et j'ai déchiré le journal en petits morceaux de papier que j'ai accrochés dans ma petite maison, ce qui m'a pris un quart d'heure au total. "

Thomas Bernhard à la rédaction du Watzmann
traduit par Olivier Mannoni ©
Thomas Bernhard an die Redaktion des Watzmann 
In: Rudolf Habringer : Bernhard Minetti geht turnen
Satiren I. Residenz 2000.



Je ne saurais trop conseiller, à ceux qui ne le connaitraient pas, ce copieux et réjouissant dossier consacré, en 2002, à Thomas Bernhard, sous la direction de Pierre Chabert et de Barbara Hutt. Un volume aussi indispensable qu'inépuisable. On y trouve, outre de savoureux inédits, une iconographie généreuse, et des textes et témoignages de J. Attié, F. Barat, M.-C. Baratta-Dragono, W. Bayer, H. Beil, J.-Y. Bosseur, M. Bouquet, R. Brändle, P. Chabert, J.-P. Chambas, B. Chantre, G.-P. Couleau, E. Cournarie, A. Engel, B. Ertugrul, M. Esslin, P. Fabjan, V. Forrester, A. G. Gargani, G.-A. Goldschmidt, G. G. Granger, A. Greenspan, J. Guerrin, P. Guinand, R. Habringer, H. Höller, S. Hommel, M. Hoppe, D. Hornig, M. Huber, B. Hutt, S. Hutt, P. Janke, F. Joachim, M. Kedzierski, J. Kraemer, G. Lambrichs, J. Lavelli, C. Lecerf, J. Le Rider, K. Lupa, O. Mannoni, D. Marleau, J.-L. Martinelli, J.-M. Maulpoix, B. Noël, N. Ponikowska, J.-M. Rabaté, R. Rach, M. Raiola, S. Rezvani, I. Ritter, H. Ronse, M. Sáenz, G. Salem, D. Schilling, W. Schmidt-Dengler, C. von Schwerin, G. von Schwerin, W. G. Sebald, A. Spire, C. Stephan, G. Stieg, A. Ubersfeld, S. Unseld, L. von Üxküll, J.-P. Vincent, U. Weinmann, H. Weishard, J.-M. Winkler, W. Wögerbauer. 

Ci-dessous : Thomas Bernhard à la pêche




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