dimanche 25 mai 2014

LES "RUGUEUSES RÉALITÉS DE L'EXISTENCE"

IN MEMORIAM JEAN-CLAUDE PIROTTE

La route de Rethel, Ardennes
par Louis Watt-Owen © été 2009

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video : La légende des petits matins de J.-C. Pirotte 
mise en voix par Jean-Jacques Marimbert ©


L'hécatombe continue. Après Pierre Autin-Grenier, voilà Jean-Claude Pirotte qui passe l'arme à gauche.
Je n'aurai pas la cuistrerie d'expliquer, à ceux qui l'aiment et l'ont lu plus et mieux que je ne l'ai fait, qui fut cet homme discret ni leur donner sa bibliographie. (Quant à ceux qui ne l'ont pas lu, ils s'en contrefoutent et tant pis pour eux.)
Sa cavale d'avocat, ses nuits arrosées, Rethel et sa pluie noire, Arbois et son vin jaune, etc… : de son vivant il eut à se coltiner avec sa légende. Mais derrière ce masque collé par les autres, il cachait toute la mélancolie et le chagrin d'un homme lucide et sans esbrouffe, d'une sensibilité intense et dénuée de sensiblerie. Un poète d'une vraie distinction, comme on n'en fait quasi plus, à l'époque où ils sont des millions. 
Ah si Rimbaud l'eût croisé au PMU d'Attigny, ou Verlaine à Rethel ! 
Mais, dans ces Ardennes dites pouilleuses, il eut cette chance d'être l'ami et le lecteur d'André Dhôtel.
Dans sa passionnante biographie d'André Dhôtel, Christine Dupouy consacre un copieux chapitre à leur amitié, où l'on trouve nombre d'extraits de leur correspondance inédite. Pirotte y dit sans ambage à Dhôtel toute son admiration, pour l'homme autant que l'auteur. Dhôtel répond parfois bien cruellement, c'est-à-dire sans hypocrisie ni tralala, avec toute la franchise d'une réelle amitié, aux textes que lui donne à lire Pirotte : ces remarques n'entament en rien, au contraire dopent, l'affection que lui porte l'auteur de La Pluie à Rethel. Après la mort de Dhôtel, le fidèle Jean-Claude Pirotte défendit mordicus et publia son œuvre posthume, entre autre le recueil des Poèmes comme ça (au Temps qu'il fait). On lui en sait gré, avec une vraie reconnaissance. Tout lecteur de Dhôtel sait ce qu'il doit à Jean-Claude Pirotte.
Outre qu'un auteur formidable, il fut aussi, jusqu'au bout du bout, malgré la maladie incurable, un lecteur comme on n'en fait plus non plus, si attentif, toujours curieux. 
Je ne manquerai pas de boire à sa mémoire un pot de merlot en terrasse à Attigny la prochaine fois que j'y remonte.
L.W.-O.

Je redonne ci-dessous deux extraits de lettres de Pirotte à Dhôtel, tirés de cette épatante et indispensable biographie, André Dhôtel, histoire d'un fonctionnaire (ah comme il est étrange de retaper le courrier d'un autre, et on en tremble encore plus des doigts quand celui-ci vient tout juste de mourir) :

"Je crois que j'ai trop de "métier", et que j'étrangle l'élan, par une sorte de mécanisme d'auto-punition. Il faut que cela ait l'air d'un jeu, et d'un jeu vraiment futile et banal. Au point qu'il faille vraiment prêter l'oreille pour réussir à entendre une mince musique désuète, que l'on est en droit de récuser l'existence même de la partition. Sans doute cela tient à ce que je suis bourré de "littérature"… Je me consume en vase clos, tellement loin de la vie (mais qu'est-ce que c'est ?) que le pastiche me paraît encore la meilleure manière de dénoncer cette infirmité. Il y a cependant autre chose, une illusion folle : je crois à la rengaine, aux mots les plus éculés, parce qu'ils me semblent receler plus d'"inattendu" que les vocables à la mode…"
à André Dhôtel, 11 janvier 1980


"AU MONT-DE-JEUX CHEZ DHÔTEL"

Le banc d'André Dhôtel entre Saint-Lambert et Mont-de-Jeux, Ardennes,
par Louis Watt-Owen © été 2009

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" plus que Rimbaud c'est Verlaine
qu'on entend rire doucement
dans les prés inondés par l'Aisne
où veille un écriteau blanc

en buvant la goutte de prune
au Mont-de-Jeux chez Dhôtel
on attend que la vieille lune
éclaire l'heure au cartel

sur le chemin qui descend fort
vers les campagnes oisives
le vent roux glisse sans effort
nul ne s'inquiète : qui vive ?

le vent glisse avec sa valise
de refrains sempiternels
les panais dressent leurs balises
fidèles au bord du ciel…"

Jean-Claude Pirotte

Ce "petit poème dhôtelien" fut adressé à André Dhôtel en mars 1982, 
et dédié à sa femme Suzanne, alors souffrante. 

Lien :
Jean-Claude Pirotte fut le lecteur réjoui de Thomas Vinau, qui a son tour a fait de lui un petit portrait en "clochard céleste" que je recommande.





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