lundi 25 février 2013

"Sur du papier de lune rêche…"


La Lune par Johannes Helevius, 1645
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(Plus tard, en m'en allant) : "Restez encore un peu", m'invita-t-elle : "de toute façon il faut que j'attende Lore, je n'irai pas me coucher avant". Mais je sortis; elle aussi a envie d'être seule de temps en temps; pour faire sa toilette ou ceci ou cela.
Il est minuit lune d'or : solitude de la place, léger souffle de vent transi. Chiottes noires. De retour dans l'espace bleu, je m'envoyais des giclées d'eau froide à pierre fendre jusqu'à ce que ça ballonne à la ceinture.  À l'intérieur j'écrivis sur du papier de lune rêche :
Poète : si le peuple t'applaudit, interroge-toi : qu'ai-je fait de mal ?! S'il t'applaudit aussi pour ton second livre, jette ta plume aux orties : jamais tu ne seras un grand. Car le peuple ne connait de l'art que l'art floral et culinaire (pas de malentendu : ces artistes-là sont peut-être des hommes de bien mais des mauvais musiciens !) — L'art pour le peuple ?! : le peuple jappe et se pâme de plaisir quand il entend le Chant de la Volga de Tsarévitch, et reste de glace, s'ennuie à mourir devant l'Orphée du Chevalier Gluck. L'art pour le peuple ?! : laissons ce slogan aux nazis et communistes; c'est svp au peuple (à chacun !) d'aller à l'art et non le contraire ! — D'autres amabilités de ce genre me fox-trottaient joyeusement dans la cervelle, mais je m'mis le manteau, pour dormir.
(…)
Vint, vit, stoppa : la lune devait nous en vouloir, elle jetait un éclat cru et barbare sur la paroi de verre qui nous séparait : nous étions face à face comme deux orages : Lore et moi. Alors que le mien devait être livide, son visage sombre propageait une coiffure venteuse et laiteuse. À dire, il n'y avait rien; par conséquent elle eut juste un rire bref, puis rentra dans la maison. Tourna lentement la clé. Avec une lenteur calculée. (Et déjà, la porte en face s'ouvrait; Grete lui fit de la lumière. "

Arno Schmidt, Brand's Haide, 1951
traduit par Claude Riehl
Christian Bourgois éditeur ©, 1991

C'est dans La Main de singe, en 1991, que Claude Riehl publia les premières pages de cette traduction. Avis aux (très rares) aficionados : je donnerai bientôt quelques "scans" du tapuscrit original, ainsi que du texte paru dans la revue. L. W.-O.

MOONDOG !!!!!

Qui nous dira si Schmidt, farfouillant avec l'aiguille du tuner sur sa radio "boite-à-sucre" tomba un beau jour, ou une belle nuit, sur la musique de Moondog, autre phénomène irréductible ?! Va savoir ce qu'il écoutait vraiment, ce drôle de coco ! 
Ce serait trop beau : qu'il écoutât les mélopées du grand viking de New-York, en pianotant l'alphabet, improvisant en rythme, et sifflotant, tapant de la semelle sur son linoléum !!!



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