samedi 3 septembre 2011

" La grande affaire…"

Le Loup et la Tortue / click to enlarge


Exiger de mes interlocuteurs qu'ils soient grands amateurs du Confort Intellectuel de Marcel Aymé, voilà un truc simple et efficace pour faire utilement le tri dans mes relations. Avis !
L. W.-O.

Gaffe : la video INA ci-dessus ne donne que le début d'un vieux documentaire biographique sur Marcel Aymé. On se délectera dès la première minute du témoignage de Paul Léautaud piqué dans son Journal.
 

" Dans tous les domaines où prévalaient autrefois l'intelligence, le bon sens, l'esprit critique et constructeur, c'est par quelque singularité facilement accessible à la sensibilité bourgeoise qu'un homme se fait maintenant apprécier.
Dans son milieu, on ne juge plus guère un individu sur ses capacités professionnelles, sur ses talents d'organisateur ou sur ses vertus familiales, mais sur des nuances de son tempérament, des aptitudes mineures et exquises, des préférences artistiques. On le classera avantageusement parmi ses pairs s'il a en tête quelque marotte littéraire, si on lui connaît des goûts délicats [...]. Qu'un général en chef ou un ministre soit médiocre dans ses fonctions, il ne lui en sera pas tenu rigueur.
" Un être inouï, formidable, dira-t-on. Vous savez qu'il joue de l'accordéon ? " Et sur cela seulement qu'il joue de l'accordéon ou qu'il prend de la coco ou qu'il est inverti, on le tiendra pour un homme de génie. Mais d'un autre ministre ayant tous les talents et toutes les vertus convenables dans son emploi, on dira en haussant les épaules qu'il est un " con et un emmerdeur " s'il n'a pas en lui ce coin de marécage poétique qui fait aujourd'hui le prix d'un homme.
Pour un bourgeois qui veut être considéré dans son monde, la grande affaire est de passer pour un original. "  (…)

(…) " Autrefois, l’art était tout bonnement une façon de faire. Il y a un peu plus de trois cents ans que le mot a commencé à se draper dans un brouillard majestueux et par la suite, il s’est tellement sublimé qu’il est devenu je ne sais quelle angoisse cosmique. quel infini indivisible dont le principe imprégnerait certaines créations de l’homme. Tout ça me paraît fleurer la mysticité et ressemble fort à une invention de cuistres laïques en mal de religion. L’Art majuscule, prétexte à com­bien de doctrines, théories, invocations, prédica­tions, et qui a ses rites et ses augures, je lui trouve un air de famille avec le Bon Dieu. Et quant à l’art sans majuscule, quant à ce participe divin dont les initiés éprouvent si vivement la présence dans un poème ou dans un tableau, ne vous semble-t-il pas qu’il est au chef-d’œuvre ce qu’est l’âme à la chair d’un chrétien? Je vous dis que ce ne sont pas là des façons claires de parler. Quand on parle de l’Art, tout le monde se comprend et personne ne sait au juste de quoi il s’agit. Voilà bien le pire danger. Se comprendre à demi-mot entre initiés tout en ne comprenant rien, c’est, je crois, le véritable mal du siècle — un mal qui n’est peut-être pas particulier à la bourgeoisie, mais dont elle est tout de même seule à crever. "

Marcel Aymé, Le Confort Intellectuel


1 commentaire:

thoams a dit…

Une bonne base !